Adeline, quel a été le moment décisif où vous avez réalisé que le cancer pouvait être une opportunité de transformation personnelle ?
J’ai toujours nourri la conviction que ce qui nous arrive n’est pas le fruit du hasard, que nous avons à apprendre de toutes les expériences, même les plus détestables. Lorsque l’on m’a diagnostiqué un cancer du sein, bien sûr mon monde s’est effondré. J’ai d’abord passé deux semaines à pleurer toutes les larmes de mon corps, puis je me suis dit « il faut que tu fasses quelque chose pour ta rémission, quelque chose où tu n’auras plus l’impression de subir cette maladie ». Alors j’ai entrepris de comprendre ce qu’il m’arrivait, de chercher les racines de ce cancer. J’ai mené une grande enquête, sur moi-même d'abord (mes fonctionnements, mon éducation, la pression que je me mettais…), et sur ma famille également, car j’étais la 3e génération de femmes à subir ce cancer, sans marqueur génétique pourtant. J’ai interrogé l’épigénétique, le pouvoir de la pensée sur le corps… c’était une démarche riche d’enseignements, qui m’a aussi mise dans un état d’esprit combatif.
Pouvez-vous nous parler des signaux que votre corps vous envoyait avant le diagnostic et comment vous les percevez aujourd’hui ?
Le cancer a exigé de moi que je stoppe tout et que je remette tous les curseurs à zéro. Après cela, j’ai réalisé que je vivais dans la zone rouge du stress en permanence, mais j’étais dans le déni. Je ne me sentais jamais stressée, jamais fatiguée, d’une certaine manière j’étais aussi très fière d’arborer ce self control qui me donnait le sentiment de mieux gérer que les autres ! Parce que j’étais dans le culte de la performance. Cependant mon corps m’envoyait déjà des signaux : j’avais des migraines terribles qui, pour moi aujourd’hui, sont le reflet d’un mental qui était en surcharge, sous pression comme une cocotte-minute. J’étais aussi très mélancolique, triste alors que j’avais tout pour être heureuse. Alors je cherchais le bonheur à l’extérieur de moi, dans l’hyperactivité. L’adrénaline me donnait le sentiment d’être pleinement en vie. Mais je poussais mon corps à bout. J’avais aussi des tensions musculaires très fortes dans la nuque... Je suis sûre que j’avais encore plein d’autres symptômes, mais je les mettais sous le tapis. Tant et si bien que, même aujourd’hui, je ne suis pas capable de m’en souvenir !
Dans quelle mesure votre métier de conceptrice-rédactrice a-t-il influencé votre façon de communiquer sur votre parcours de résilience à travers votre blog et votre livre ?
L’écriture est le prolongement de moi-même, c’est un élan naturel qui me permet d’extérioriser beaucoup de choses. Pendant la maladie, j’ai effectivement ouvert un blog pour raconter tout ce que je vivais, avec parfois beaucoup d’humour un peu acide car, soyons honnêtes, en tant que malades nous vivons des situations parfois ubuesques, ou alors d’une telle violence qu’il vaut mieux en rire pour ne pas s’écrouler. C’était mon exutoire, et beaucoup de mes ami(e)s le lisaient pour prendre des nouvelles, voir quelle était ma « météo personnelle » avant de me passer un petit coup de fil. Après tout cela, j’ai d’abord eu l’idée de faire un livre de ces écrits, mais je me suis aperçue que c’était insuffisant pour traduire tout le chemin que j’avais parcouru. Je voulais vraiment raconter mon cheminement, mes investigations, et tout le travail personnel que j’avais fait pour comprendre ce que cette maladie avait à me dire. En rémission, j’ai changé des choses en profondeur, et c’est cela que je voulais raconter.
Comment le processus d'écriture sur votre blog Saint Soutif a-t-il contribué à votre guérison et à votre reconnection avec vous-même ?
Je pense que ce que l’on « sort » de soi ne vient plus nous tourmenter. Poser les choses par écrit, avoir des lecteurs et lectrices avec lesquels partager ces douleurs, ces tristesses, ces colères ou ces rires jaunes, c’est incroyablement salvateur. Mais c’est vraiment le travail souterrain, que je n’exprimais pas dans le blog, mais que j’ai raconté ensuite dans mon livre, qui a aidé à ma rémission. Je m’accrochais à l’idée que j’allais comprendre la leçon du cancer, transformer ce qui devait l’être, pour ne plus jamais pousser mon corps dans ses retranchements. J’étais très appliquée, finalement, à écouter mon âme, si je puis dire, qui utilisait mon corps comme un moyen d’alerte. J’ai vu le cancer comme le porte-voix de mon être profond, qui me disait : « arrête tout, ce n’est plus possible, tu ne peux plus vivre comme ça ! ». J’ai réalisé que la maladie n'était pas une condamnation, finalement, mais plutôt un appel à vivre plus grand et de façon plus alignée.
En abordant les traitements alternatifs et le travail personnel dans votre rétablissement, pourriez-vous détailler ce qui a été particulièrement bénéfique pour vous ?
Je pense que mon introspection a vraiment fait équipe avec les traitements médicaux. J’étais tellement engagée dans « l’après », tellement focus sur le fait que mon mental était en mesure d’influencer considérablement mes réactions aux traitements et ma rémission ensuite, que j’ai aidé mon corps à accepter tout cela et à accueillir ces traitements, malgré la peur qu’ils m’inspiraient. J’ai fait un très gros travail de visualisation positive pendant les perfusions de chimio, j’ai aussi fait de la médecine chinoise pour aider mes organes à récupérer et beaucoup d’autres choses très alternatives qui m’ont fait réfléchir, creuser, regarder ma partie sombre. Je tiens à préciser une chose : la personne qui m’a accompagnée le plus ne m’a jamais demandé un centime, et absolument tous les thérapeutes que j’ai consultés m’ont soutenue à 100% du côté médical, y compris quand j’étais sur le point de renoncer parce que c’était trop difficile. Ces personnes ont été des phares en pleine tempête. C’est vraiment important de se créer un réseau parallèle à celui des médecins, selon nos envies et convictions, pour accompagner les traitements et soutenir le mental mis à rude épreuve. Et, toujours, de rester en droite ligne avec le corps médical : les médecins s’occupent de notre survie, de notre côté, on peut se concentrer sur la « vie ».
Votre livre porte un titre audacieux 'Mon cancer, quelle chance !'. Comment souhaitez-vous que les lecteurs perçoivent cette perspective et quel message espérez-vous faire passer ?
Oui, ce titre est très interpellant, mais il est à l’image de ce que je pense de cette expérience aujourd’hui. Ma vie après le cancer est plus authentique, plus riche, plus alignée et sereine. Je suis nettement plus heureuse, même si cela ne m’empêche pas de vivre encore des hauts et des bas, je suis comme tout le monde ! J’ai dû faire des choix courageux, difficiles, mais c’était comme enfiler une nouvelle peau. Et depuis, je fais tous mes choix en partant de mon ventre, de la joie et du sens que cela procure pour moi, et non plus en réaction à des injonctions (réelles ou imaginaires, parfois nous sommes notre pire ennemi, du fait de notre éducation, nos blessures ou conditionnements !) Donc pour moi, le cancer peut être l’opportunité de se transformer en profondeur, de se réinventer, pour vivre ensuite avec un élan encore plus grand et fou. Je dirais aussi que voir la maladie sous cet angle m’a vraiment aidée pendant les traitements, pour voir une lumière au bout du tunnel. Si j’étais restée bloquée sur le fait que c’est injuste et que j’étais une victime, j’aurais ruminé trop de mauvaises pensées et j’aurais vécu cette expérience encore plus difficilement. Se dire que c’est une opportunité et pas un drame, c’est quand même une pilule plus facile à avaler !
Avec le recul, y a-t-il des aspects de votre ancienne vie que vous auriez faits différemment après avoir pris conscience de l'importance de ne pas s'oublier au profit des autres ?
Avant de vous répondre, je dirais que je n’aurais pas pu faire mieux que ce que j’ai fait. Nous sommes toujours, au présent, à 100% de nous-mêmes. Si je me poussais à bout, si je m’oubliais en chemin, c’est parce que j’étais sous l’influence de ce que j’avais vécu enfant, de ce que l’on avait toujours attendu de moi, et aussi d’émotions transgénérationnelles qui ne m’appartenaient même pas. Comme un schéma que l’on reproduit malgré nous. Pourtant, je consultais des psychothérapeutes, j’essayais sincèrement d’aller bien, mais mon déni était trop fort : c’était une protection, parce que voir la réalité en face, à cette époque de ma vie, aurait été trop difficile. Finalement, j’ai eu un cancer au moment où j’étais prête à le recevoir et à le gérer. J’avais vu ma mère, déjà, avant de mourir, démarrer un chemin d’introspection similaire au mien. Je me suis dit : « tu dois aussi faire ça, et tu dois être la dernière génération qui tordra le cou à cette maladie ». Mais si je devais faire un bond dans le passé et me donner un conseil, je me dirais : ralentis et regarde en toi ; la solution à ton mal-être n’est pas dans l’agitation, elle est juste sous ton nez. Je me conseillerais de faire des retraites, des temps sans activité, pour faire émerger la vérité. Parce que c’est dans les temps de vide et de pause que peut s'exprimer notre vrai « moi ». Et que l’on peut se réajuster, pour vivre une vie authentique et apaisée.
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