Isabel, comment votre parcours en tant que professeure agrégée des Sciences de la Vie et de la Terre influence-t-il votre écriture sur des thèmes tels que la liberté et la résilience ?
Mon parcours en tant que professeure agrégée des Sciences de la Vie et de la Terre imprègne profondément mon écriture, notamment en ce qui concerne la liberté et la résilience.
Mon enfance, marquée par une grande proximité avec la nature et une liberté forgée dans les vastes espaces d'une ferme, se reflète dans mes personnages et mes récits. Cette connexion instinctive avec les éléments naturels se traduit dans La Femme Parfaite, où Lili, à l’image de mon propre vécu, dialogue avec la nature et les animaux, trouvant en eux un refuge et une source de compréhension.
Mon regard scientifique enrichit également mon approche de ces thèmes. La résilience, qu’on peut observer dans le monde du vivant – adaptation, survie, transformation –, s’incarne chez mes personnages, notamment dans leur capacité à s’affranchir des contraintes et à se reconstruire. Ma compréhension fine des processus naturels nourrit ainsi une écriture où la nature devient un miroir des émotions humaines et un levier d’émancipation.
Dans ‘La Femme parfaite’, l'ombre disparue devient un symbole puissant. Pour vous, qu'est-ce que l'ombre représente dans la lutte pour la liberté et l'émancipation individuelle?
Dans La Femme Parfaite, l’ombre n’est, en réalité, ni une absence ni une entrave. Elle est souffle, guide et libération. Elle se dit être un filtre de la conscience. Mais par ses actions -après sa réincarnation- elle montre qu’elle n’est pas dans la censure, au contraire, elle est celle qui éclaire et oriente. Elle parle à l’héroïne, murmure à son oreille des vérités longtemps tues, étouffées sous le poids d’une éducation où la femme devait s’effacer, se contenir, se soumettre.
Mais cette ombre-là, loin d’être un vestige du passé, se fait éclaireuse. Elle est un sur-moi affranchi, délesté des chaînes d’un patriarcat imposé, délivré des injonctions qui font taire. Au lieu d’être la voix de la conformité, elle devient la force du choix. Elle dit : ose. Elle dit : existe. Elle dit : prends ta place, non à la marge, mais au centre.
L’ombre, dans sa disparition, ne s’efface pas. Elle se fond en la femme, s’incarne en elle, la traverse et l’éveille. Elle n’est plus une entité séparée, un reflet ou un fantôme du passé. Elle est intégrée, assimilée, transcendée. Elle devient cette impulsion qui fait de l’héroïne une femme de Vitruve, un être en équilibre, parfaitement centrée dans l’espace qu’elle s’octroie.
Votre récit évoque une quête de résilience et de libération des attentes sociales. Quels éléments de votre propre vie ont enrichi votre compréhension de ces thèmes ?
Mon histoire est celle du mouvement, des frontières franchies et des terres quittées sans retour. Depuis au moins trois générations, nous naissons dans un pays et mourons dans un autre. Cet exil répété, cette impossibilité d’appartenir pleinement à un seul lieu, forge une conscience aigüe de la perte, mais aussi une capacité d’adaptation infinie.
Je suis née dans une colonie française, espagnole de sang, mais naturalisée seulement par le droit. Ni tout à fait d’ici, ni tout à fait d’ailleurs, j’ai grandi dans cet entre-deux, où l’identité se construit dans le regard des autres autant que dans le sien propre. Et puis, il y a eu mai 1968, ce souffle révolutionnaire qui a fait trembler les fondations d’un monde figé. J’ai vécu cette transition, ce passage d’un régime patriarcal pesant à une époque d’émancipation et de revendications. J’ai vu les chaînes se fissurer, les interdits vaciller, la voix des femmes se lever.
Dans ce chaos des repères, la nature a été mon ancrage. Elle ne juge pas, ne rejette pas. Elle accueille et enseigne. Comme elle, j’ai appris la résilience, l’adaptation, la force tranquille de celui qui ploie sans se briser. Dans mes récits, cette connexion s’exprime comme une évidence : la nature est un refuge, un miroir et une force. Elle porte en elle l’histoire de la transformation, des passages, de l’impermanence qui n’est jamais une fin mais toujours une renaissance.
Ainsi, la quête de mes personnages est aussi la mienne. Celle d’une liberté qui se construit non pas contre, mais avec – avec l’héritage, avec le passé, avec la nature qui nous enseigne qu’être libre, c’est savoir grandir là où l’on se trouve, sans renier ses racines, mais en les laissant tracer un chemin vers l’avenir.
La manipulation psychologique est un thème récurrent dans votre livre. Comment abordez-vous cette complexité dans le développement de vos personnages ?
Dans La Femme Parfaite, la manipulation psychologique n’est pas une mécanique simpliste, un simple rapport de force entre un dominant et un dominé. C’est une toile subtile, tissée dans l’invisible, un conditionnement qui s’infiltre dans les esprits avant même que la conscience ne s’éveille.
Mon approche de ce thème est intimement liée à l’éducation, aux normes sociales et aux attentes qui façonnent l’individu bien avant qu’il ne réalise qu’il doit s’en affranchir. La femme, en particulier, porte sur ses épaules un héritage de soumission intériorisée, un cadre imposé qui dicte ce qu’elle doit être, penser, ressentir. Mon héroïne en est prisonnière, mais elle porte aussi en elle la clé de son émancipation.
C’est là que l’ombre intervient, ce sur-moi libéré des carcans patriarcaux, cette voix intérieure qui s’affranchit des injonctions et recompose une nouvelle vérité. Mais avant de s’en libérer, il faut l’affronter. Lili évolue ainsi au gré de confrontations intimes, d’illusions brisées, de désillusions nécessaires. La manipulation psychologique n’est pas qu’un piège tendu par autrui, elle est aussi une prison intérieure, faite de croyances et de peurs inculquées, de fidélités invisibles.
En déconstruisant ces mécanismes, en mettant en lumière l’influence insidieuse qui pèse sur l’esprit, je ne cherche pas seulement à dénoncer, mais à montrer la possibilité de s’en extraire. Car la manipulation ne triomphe que lorsqu’elle demeure inconsciente. Dès lors qu’elle est perçue, analysée, remise en question, elle perd son pouvoir.
C’est ce voyage-là que je fais vivre à mon personnage : une prise de conscience progressive, un éveil qui la mène de la soumission à l’affirmation, de l’ombre à la lumière, de la passivité à la liberté. Lili devient alors, la première femme de Vitruve.
Le réalisme magique joue-t-il un rôle essentiel dans votre écriture pour exprimer les tensions psychologiques et la quête identitaire ?
Dans mon écriture, le réalisme magique n’est pas un simple artifice narratif, il est un langage, un pont entre le tangible et l’intangible. Il me permet d’exprimer ce que les mots rationnels peinent à saisir : les tensions psychologiques profondes, les fractures identitaires, les combats intérieurs qui ne se laissent pas toujours enfermer dans une logique cartésienne.
Les images, les métaphores, les allégories deviennent alors des révélateurs. Elles subliment l’indicible, traduisent les doutes, les blessures, les désirs refoulés sous une forme qui échappe aux contraintes du réel. Un objet peut devenir un symbole, une ombre peut parler, un paysage peut refléter un état d’âme.
Dans La Femme Parfaite, cette approche se manifeste pleinement. L’ombre y devient un sur-moi libéré, un guide intérieur détaché des injonctions patriarcales. Elle n’est pas une entité fantastique, mais une présence qui, dans sa disparition, signe la métamorphose de l’héroïne Lili. De même, la nature joue un rôle initiatique, miroir des transformations intérieures, témoin silencieux de la quête identitaire.
Le réalisme magique me permet ainsi de rendre visibles les tensions invisibles, d’offrir à la psychologie un espace d’expression où elle se déploie avec force et poésie. Car au-delà des mots, ce sont souvent les images qui marquent l’esprit et révèlent les vérités enfouies.
En abordant la rupture avec le passé et la renaissance personnelle dans votre livre, quelle est votre réflexion sur l’importance de se confronter à ses traumatismes pour avancer ?
Les traumatismes sont comme des pierres semées sur le chemin de l’existence. On peut tenter de les ignorer, les contourner, feindre qu’ils n’existent pas, mais ils restent là, incrustés dans la mémoire et l’inconscient. Ils forment des failles, parfois invisibles, parfois béantes, qui influencent les décisions, les peurs, les désirs.
Dans La Femme Parfaite, la rupture avec le passé ne signifie pas l’oubli. L’héroïne, Lili, ne peut se reconstruire qu’en traversant ses propres ombres, en acceptant de regarder en face ce qui l’a façonnée, ce qui l’a entravée. La confrontation avec le passé est douloureuse, mais elle est aussi nécessaire. Car c’est en explorant les failles qu’on peut les comprendre et, parfois, les refermer.
Pour moi, avancer ne signifie pas effacer. Cela signifie réintégrer, transformer les blessures en une force nouvelle. C’est dans cet espace fragile entre effondrement et résilience que naît la possibilité d’une véritable renaissance. Une renaissance qui ne nie pas les fractures du passé, mais qui les accepte comme des étapes d’un parcours, comme des cicatrices qui témoignent du chemin parcouru.
Dans mon écriture, cette quête de reconstruction est essentielle. Elle n’est pas un retour en arrière, mais une métamorphose, un passage où l’individu ne se débarrasse pas de son passé, mais le réinvestit autrement. Car au final, ce n’est pas l’oubli qui libère, mais la capacité à donner un nouveau sens à ce qui a été.
À votre avis, comment la perception de la perfection et la libération des attentes sociales influencent-elles notre quête de confrontation et notre résilience personnelle ?
Nous avançons tous guidés par une étoile flamboyante, une utopie personnelle qui éclaire notre chemin et donne un sens à notre existence. Qu’elle prenne la forme d’un idéal, d’un rêve ou d’une quête intérieure, elle façonne notre regard sur le monde et sur nous-mêmes.
Mais ce chemin n’est jamais linéaire. Il est parsemé d’obstacles, de désillusions, de traumatismes qui marquent et façonnent l’individu. Les attentes sociales, souvent imposées dès l’enfance, viennent s’ajouter à ces épreuves, dictant ce que nous devrions être, comment nous devrions agir, penser, réussir. La "perfection", cette norme illusoire, devient un poids, un cadre rigide qui enferme plus qu’il ne guide.
Se libérer de ces attentes, c’est oser la confrontation. C’est déconstruire ce que l’on croyait être des vérités absolues pour redéfinir son propre chemin. La résilience naît dans cette capacité à questionner, à déconstruire pour reconstruire autrement. Se transformer n’est pas renier son passé, mais métamorphoser ses blessures en force, redonner une forme nouvelle à son histoire.
Dans La Femme Parfaite, cette quête est au cœur du récit. L’héroïne traverse les ombres de l’injonction sociale, affronte ses propres croyances et s’affranchit de l’idéal imposé pour redevenir le centre de sa propre existence - la première femme de Vitruve-. Car la véritable perfection n’est pas celle que l’on nous impose, mais celle que l’on définit pour soi, dans une liberté conquise et assumée.
Finalement, ce n’est pas la perfection qui nous guide, mais la quête elle-même. C’est dans ce mouvement, cette transformation continue que réside la véritable force de l’être humain.
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