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Interview de Jean-charles Maurat : Bandes dessinées originale - Ventes aux enchères historique à Monaco.

Interview de Jean-charles  Maurat : Bandes dessinées originale - Ventes aux enchères historique à Monaco.

Monsieur Maurat, pouvez-vous nous expliquer comment la bande dessinée est passée des collections privées aux salles de vente aux enchères de prestige, et quel rôle avez-vous joué dans ce mouvement à Monaco ?

La bande dessinée a connu une évolution remarquable au fil des décennies, passant d'un simple divertissement de masse à un produit de collection prisé, souvent vendu aux enchères dans des salles de vente prestigieuses. Voici, selon moi quelques étapes clés qui expliquent ce parcours :

Les débuts populaires : Dans les années 1930 à 1960, les bandes dessinées sont principalement perçues comme un média pour enfants. Elles sont largement diffusées et se vendent dans les kiosques et les magasins, rendant leur valeur de collection relativement faible.

L'émergence de la culture des collectionneurs : À partir des années 1970, les enfants qui ont acheté leurs premières bandes dessinées sont désormais adultes. Je pense que la BD est devenue une Madelaine de Proust et que les nouveaux adultes, empreints de nostalgie, deviennent désireux d'acheter des objets qui les ont fait voyager, rêver lorsqu'ils étaient enfants. C'est ainsi que naissent les premiers collectionneurs qui commencent à réaliser la valeur historique et artistique des bandes dessinées à travers le prisme de leur enfance. Ce nouvel élan se matérialise par la création de nouveaux événements, comme la première convention de bande dessinée à New York en 1964, qui vont contribuer à établir une communauté de passionnés, renforçant l'idée que les bandes dessinées pouvaient être considérées comme de véritables objets d'art.

De ce sentiment, découle la montée des prix et des enchères. Au fur et à mesure que la reconnaissance de la bande dessinée grandit, les prix des numéros rares commencent à augmenter. Des magasins spécialisés se développent, des ventes aux enchères spécialisées commencent à apparaître, les bandes dessinées emblématiques commencent à se vendre très chères.

Peu à peu, on assiste à une institutionnalisation de l'art de la bande dessinée : Le succès grandissant de la bande dessinée et sa reconnaissance progressive en tant que création artistique incitent les pouvoirs publics à créer un centre culturel consacré exclusivement à la bande dessinée à Angoulème : le Centre national de la bande dessinée et de l’image, créé en 1984, qui ouvre ses portes en 1989 dans d’anciennes brasseries réaménagées par l’architecte Roland Castro. D'autres musées et galeries commencent à exposer des œuvres de bande dessinée, ce qui renforce leur statut artistique. Cette reconnaissance institutionnelle a encouragé les acheteurs potentiels à investir dans des œuvres de bande dessinée, qu'ils considèrent maintenant comme des objets de valeur.
Dès lors, l'entrée de la bande dessinée dans les salles de vente aux enchères de prestige devient une conséquence logique.

En résumé, la transition de la bande dessinée des simples collections privées vers les salles de vente aux enchères de prestige est le résultat d'une évolution culturelle, d'une reconnaissance de valeur artistique, et de l'émergence d'une communauté de collectionneurs passionnés portée par de grands enfants nostalgiques et amoureux du beau.

Passionné de bandes dessinées et ami avec le directeur de l'hôtel des ventes de Monaco, monsieur Franck Baille, c'est naturellement que je lui ai proposé d'introduire ce pan dans la palette déjà très large de l'HVMC. Franck a de suite était charmé par l'idée et m'a donné carte blanche pour organiser cette première vente. Monaco est une place de marché unique qui concentre une communauté internationale de collectionneurs. Parmi cette communauté, il y a de nombreux jeunes qui comme moi sont passionnés du 9ème art. Je pense qu'ils seront heureux de pouvoir assister depuis le Rocher à une vente historique sur cette thématique.


En tant que consultant pour l'hôtel des ventes de Monte-Carlo, comment sélectionnez-vous les œuvres de bande dessinée qui seront mises aux enchères ? Y a-t-il des critères spécifiques que vous appliquez pour déterminer la valeur d'une pièce ?

Je sélectionne les pièces selon trois critères principaux.
- leur portée historique
- leur dimension artistique
- leur complémentarité

Ces trois principes fondamentaux que j'applique se complètent ensuite par une analyse commerciale. Il est essentiel de consacrer les maitres de la bande dessinée et il est impossible de réaliser une vente de prestige sans avoir par exemple une pièce d'Hergé. En l'occurrence, nous avons la couverture couleur de l'album Pop up de l'île noire qui à quelques détails prêts est la même que celle de l'album de la BD. La pièce maîtresse est celle qui crédibilise la vente et c'est autour d'elle que vont s'agréger les autres pièces allant de la plus prestigieuse à la plus populaire. Pour autant, il ne faut jamais oublier l'essence de la BD et des artistes qui la font vivre : cette essence est la passion, le côté populaire, celui de vouloir donner du plaisir au lecteur à travers un art que chacun peut encore s'offrir. Une bande dessinée coûte environ 9 euros et avec ces 9 euros vous pouvez faire rêver des enfants, faire voyager des adultes, donner de l'espoir, faire rire, émouvoir, bref... la BD est un remède et c'est pour ça qu'elle devient un art. Ce côté populaire je tiens à le préserver lors de cette vente car je veux pouvoir permettre aussi à ce qui n'ont pas les moyens de s'offrir une couverture de Tintin à 800 000 euros, de pouvoir s'offrir un petit morceau de leur passion. Les années consacrent les géants mais aujourd'hui de nombreux "néo talents" qui sont jeunes font rêver nos générations et ces jeunes scénaristes et dessinateurs, qui ne sont pas encore passés au révélateur de l'Histoire, seront représentés et proposeront des pièces accessibles.
Concernant les critères spécifiques que j'accorde à la valeur d'une pièce, ils différent selon la pièce.
Si c'est un figurine 3D, les critères seront son sculpteur, son tirage, son état, son conditionnement. Si c'est une édition originale les critères seront la date de parution, la célébrité de la BD, de son auteur, sa rareté et son état matériel.

La vente aux enchères à Monaco présente des œuvres de maîtres comme Hergé, Graton et Geluck. Pourquoi pensez-vous que ces artistes sont en tête d'affiche, et que révèlent-ils sur l'évolution de l'appréciation de la bande dessinée en tant qu'art ?

Hergé, Graton ont chacun laissé une empreinte indélébile dans le monde de la bande dessinée. Hergé, créateur de Tintin, est souvent considéré comme un pionnier pour son approche narrative et graphique innovante. Graton, avec son célèbre personnage Michel Vaillant, a su allier passion pour le sport automobile et art narratif.
Geluck, connu pour "Le Chat", est en train de marquer son époque car il apporte une touche humoristique et philosophique à l'univers de la bande dessinée. Il a le privilège d'être consacré de son vivant, ce qui est rare dans toutes les formes d'art d'ailleurs. Je précise d'ailleurs que les oeuvres que Philippe met en vente à Monaco serviront à financer son musée à Bruxelles sur le thème de son personnage fétiche. Cette vente monégasque aura donc une dimension culturelle supplémentaire.

La reconnaissance en tant que maîtres et "néo maitre" des trois têtes d'affiche témoigne du fait que la bande dessinée est désormais perçue comme une véritable forme d’art, méritant d’être exposée et célébrée au même titre que d’autres disciplines artistiques.

Ces artistes ont transcendé le simple divertissement pour devenir des figures emblématiques de la culture populaire. Leurs œuvres capturent des moments, des tendances et des valeurs sociales qui résonnent encore aujourd'hui. En mettant en avant leurs créations lors de ventes aux enchères, cela souligne l'importance de la bande dessinée en tant que reflet de son époque et de son contexte culturel.

L'intérêt pour la bande dessinée a considérablement augmenté parmi les collectionneurs, qui recherchent des œuvres iconiques de ces maîtres. La vente aux enchères de Monaco attire des acheteurs à la recherche d'investissements valables, surtout lorsque les œuvres en question sont historiques ou rares. Cela illustre également une évolution vers une appréciation plus mature de la bande dessinée, où les collectionneurs envisagent la bande dessinée non seulement comme un loisir, mais comme un actif culturel et financier.

Hergé, Graton et Geluck offrent un panel divers dans la thématique et dans le style. Chacun avec leur style unique, montrent la diversité et la richesse de la bande dessinée. Cette variété attire un large public et souligne que la bande dessinée peut aborder des thèmes complexes, allant de l'aventure à la satire sociale, en passant par la philosophie. Cela contribue à la perception de la bande dessinée comme une forme littéraire et artistique à part entière.

En somme, la présence de ces artistes en tête d'affiche lors de la vente aux enchères de prestige à Monaco illustre une reconnaissance croissante de la bande dessinée en tant qu'art. Cela témoigne d'une évolution de l'appréciation culturelle, matérielle et historique de cette forme d'expression.

Avec des enchères qui atteignent désormais des montants similaires à ceux des œuvres d'art classiques, comment voyez-vous l'avenir du marché de la bande dessinée dans le domaine de l'art ?

Je pense que la bande dessinée aura une place de plus en plus importante dans le marché de l'Art. Elle sera bientôt rejointe par les mangas qui ne rentreront jamais en opposition avec elle. La BD est un support d'expression et de créativité qui reste très populaire. Tant que les enfants liront des bandes dessinées, le marché du 9ème art coulera des jours heureux. Ne jamais oublier que les enfants d'aujourd'hui sont les collectionneurs de demain. Les maîtres incontestés, précurseurs garderont toujours une valeur importante mais parmi les auteurs contemporains actuels, il y aussi des maîtres en puissance.

Quel impact pensez-vous que cet appel aux collectionneurs avec une vente aux enchères sur le thème de la bande dessinée aura sur le marché de l'art et sur la perception de la bande dessinée auprès du grand public ?

Je pense que le marché de la bande dessinée est pour l'instant très exclusif et élitiste. Je pense qu'il gardera d'ailleurs ce caractère car une trop large diffusion en ferait perdre le sens et l'essence. Monaco peut s'inviter dans ce cercle fermé car Monaco a un tel aura que finalement personne ne sera étonné de voir la BD consacrée sur le Rocher. Il y a déjà eu des évènements autour de la BD à Monaco, Philippe Geluck a exposé ses sculptures du Chat au Larvotto en 2022. Je pense plutôt que les amateurs et collectionneurs seront surpris d'apprendre que c'est la première vente consacrée à cet univers que réalise l'hôtel des ventes de monte Carlo.
Quant à l'impact sur le marché de l'Art que pourra avoir cette vente, difficile de le présager mais je pense que cette vente sera particulièrement suivie, y compris par les professionnels du secteur des ventes aux enchères.

Compte tenu de votre expérience, quels conseils donneriez-vous aux collectionneurs amateurs qui souhaitent investir dans des œuvres de bande dessinée ? Y a-t-il des pièges à éviter ou des tendances du marché à surveiller ?

Mon conseil est simple et s'adresse aux plus jeunes ou au néo collectionneurs : "écoutez votre cœur". N'achetez pas pour spéculer, achetez car vous aimez, car vous ressentez". Il faut que vous preniez plaisir à accrocher votre planche ou votre illustration au mur ou bien que vous soyez ému lorsque vous la glisserez dans votre farde et que vous la sortirez pour la contempler.

Voyez-vous des similarités entre le marché d'art traditionnel et celui de la bande dessinée ? Comment gérez-vous les défis uniques que présente l'évaluation et la vente aux enchères de bandes dessinées par rapport aux autres formes d'art ?

Les mécanismes et les rouages des ventes aux enchères sont assez similaires entre le marché de l'art traditionnel et la bande dessinée. Il y a tout de même 3 points différenciant importants qu'il me semble pouvoir distinguer :

1) le premier est celui des relations humaines avec les scénaristes et dessinateurs. Alors que la plupart des artistes du marché de l'art traditionnel ont disparu, vous pouvez tisser des relations avec les artistes "auteurs" des bandes dessinés. Si cette relation est saine et intelligente, les deux parties peuvent mutuellement contribuer à leur succès de notoriété et de qualité. J'essayer d'inciter certains artistes à renoncer au numérique ou du moins à ne pas le rendre exclusif. Comme évoqué plus haut, la grande majorité des artistes font leur travail par passion, sans vision mercantile de leur art, et c'est merveilleux ainsi mais j'essaye parfois de leur expliquer qu'une illustration, une planche ou une couverture réalisée à la main leur permettra peut être dans plusieurs années de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leurs proches.

2) Ensuite, le second point est celui de la volatilité du marché qui est influencée par l'impact des "médias" (adaptation télé ou ciné, ou encore influenceurs sur les réseaux sociaux). Les tendances peuvent évoluer rapidement et parfois au détriment de la valeur artistique de la bande dessinée. Les fluctuations de la popularité d'un personnage peuvent par exemple impacter le prix. Cette difficulté est amplifiée par l'échelle des valeurs des bandes dessinées qu'il est difficile d'établir en fonction de leur rareté, de leur âge et de leur popularité.

3) Enfin, le dernier point est celui de la différenciation entre original et reproduction. la distinction entre les œuvres originales (comme les planches dessinées à la main) et les reproductions peut prêter à confusion. Les enchérisseurs doivent être en mesure de distinguer les différents types d'œuvres, ce qui nécessite une certaine expertise de leur part, souvent moins courante que dans le domaine des beaux arts.

Pour plus d'informations : https://hvmc.com/

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