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Marie Villequier, briser les tabous autour des cancers pédiatriques : Et nos routes toujours se croisent

Marie Villequier, briser les tabous autour des cancers pédiatriques : Et nos routes toujours se croisent

Marie, votre parcours en tant qu'autrice et médecin pédiatre est singulier et touchant. Quel a été le déclic pour vous lancer dans l'écriture de votre premier roman 'Et nos routes toujours se croisent' ?

J’ai toujours été férue d’écriture et de littérature depuis l’enfance. Au lycée, j’ai beaucoup hésité à m’orienter en filière littéraire mais c’est finalement vers un bac scientifique que je me suis tournée afin de poursuivre des études de médecine. Au cours de mon cursus universitaire, j’ai complètement abandonné l’écriture par manque de temps. Lorsque je suis devenue oncohématologue pédiatre, je me suis consacrée à ma carrière mais sans jamais abandonner ce rêve d’enfant de publier un roman un jour. En 2021, ma fille cadette est décédée et ça a été un cataclysme effroyable qui a bouleversé ma vie. Après plusieurs semaines de choc et de douleur, au moment où plus rien n’avait de sens, j’ai eu besoin de renouer avec l’écriture qui m’avait toujours guidée et que j’avais trop longtemps délaissée : mon rêve d’enfant d’écrire un roman s’est alors imposé comme une évidence. J’ai décidé de m’inscrire à une formation en écriture créative à l’Institut des Carrières Littéraires (LICARES) et je me suis astreinte à écrire tous les jours. Chaque matin, je me levais, j’allumais mon ordinateur et j’écrivais avec un objectif quotidien de mots à atteindre. Mon roman a ainsi pris vie en quelques mois. L’écriture a donc joué un rôle primordial dans ma reconstruction. En me donnant un but à poursuivre, en m’aidant à renouer avec mes rêves, en me propulsant de nouveau dans la vie, elle m’a permis d’avancer, un pas après l’autre, sur le douloureux chemin du deuil.

Pour découvrir le livre : https://www.marievillequier.fr

Votre roman aborde des sujets intimes et universels. Comment avez-vous réussi à utiliser la fiction pour explorer des thèmes aussi personnels que la maladie et le deuil de manière si réaliste et sensible ?

Je pense que tout passe par des personnages crédibles et imparfaits. Pour aborder des sujets aussi sensibles, j’ai tenté de créer des personnages qui incarnent pleinement la complexité humaine, sans jamais les réduire à leur souffrance et en évitant à tout prix de tomber dans les clichés. J’ai puisé dans des émotions authentiques que j’ai pu ressentir en tant que soignante et maman endeuillée et j’ai intégré ces fragments d’expériences personnelles et professionnelles tout en les adaptant pour préserver l’intimité. Mon processus d’écriture m’a aidée à assembler ces petites mosaïques de vécu en une histoire fictive structurée qui puisse résonner avec le plus de profondeur et de réalisme possible.

En tant que pédiatre, vous avez travaillé dans des environnements médicaux difficiles. Comment votre expérience professionnelle a-t-elle influencé votre écriture, et quelle vérité espérez-vous transmettre à travers votre livre ?

Mon expérience de pédiatre a profondément façonné mon écriture. Dans mon roman, je me suis efforcée de montrer que derrière chaque patient, chaque parent, chaque soignant, il y a des histoires humaines complexes – des peurs, des failles, des espoirs. Au cours de mon parcours de pédiatre mais aussi de maman endeuillée, j’ai appris que la résilience n’est pas toujours spectaculaire ; elle peut se manifester dans de petits gestes du quotidien qui font toute la différence. J’espère avoir réussi à traduire cela dans mon écriture par des détails subtils et réalistes. Mon expérience m’a également montré que chaque individu réagit différemment face à la maladie ou à la perte d’un être cher : j’ai essayé d’explorer des réactions variées pour offrir une représentation fidèle de la diversité humaine. Par ailleurs, j’ai intégré dans mon roman des détails sur les dynamiques des hôpitaux, les protocoles médicaux ou encore les interactions soignants-patients pour donner vie à ces environnements et tenter de rendre ces espaces compréhensibles et accessibles à ceux qui ne les connaissent pas.
À travers mon roman, j’ai souhaité transmettre deux leçons fondamentales que m’a appris mon parcours. La première, c’est qu’il faut toujours regarder au-delà des apparences pour tenter de comprendre les luttes intérieures des autres et faire preuve de compassion. La deuxième, c’est qu’il existe des instants de beauté et d’humanité qui méritent d’être célébrés, même au cœur de la douleur.

Votre livre est décrit comme émouvant et addictif. Quelle importance accordez-vous à la narration et aux personnages dans votre écriture pour toucher vos lecteurs ?

Je suis très heureuse qu’on décrive mon livre comme tel car j’ai effectivement tenté de tisser un suspens émotionnel en invitant le lecteur à vouloir comprendre les personnages et à découvrir comment ils feront face aux défis qui leur sont imposés.
Ma formation en écriture créative m’a donné des clés essentielles pour professionnaliser mon écriture en ce sens. J’ai notamment appris à structurer mon récit (en veillant à équilibrer tension dramatique et moments de répit pour le lecteur), à développer mes personnages et leurs arcs de transformation au cours du récit afin de créer une connexion émotionnelle avec mes lecteurs, à travailler sur l’aspect immersif du récit (via l’utilisation des cinq sens, entre autres). J’ai cherché à maintenir un style fluide afin de permettre au lecteur de s’immerger dans l’histoire sans être distrait par des artifices stylistiques. Je me suis également efforcée d’équilibrer ombre et lumière dans le récit car ces contrastes rendent l’histoire plus riche et l’impact émotionnel plus fort.

Comment percevez-vous le pouvoir thérapeutique de la littérature, tant pour l'auteur que pour le lecteur ?

Je vois la littérature comme un formidable espace d’échanges entre l’auteur et le lecteur. Pour l’auteur, elle est une voie d’expression qui lui permet de mettre des mots sur des émotions complexes ou des expériences marquantes. Ça a été le cas pour moi, avec cette envie de rendre hommage à mes collègues soignants et aux patients que j’ai accompagnés et ce besoin de garder une trace de ce que j’ai appris à leurs côtés. C’était une manière de me réapproprier ce que j’avais vécu dans ce service hospitalier si fort, si particulier.

D’autre part, je pense que la littérature offre au lecteur une chance de voir ses propres luttes reflétées dans les expériences de personnages auxquels il peut s’identifier. Il peut ainsi vivre des expériences immersives tout en gardant une distance sécurisante ce qui lui permet d’apprendre de ses émotions pour ensuite affronter ses propres difficultés. C’est là tout le pouvoir de la littérature : celui de transformer des souffrances individuelles en une humanité partagée.

Quel rôle pensez-vous que la sensibilisation, à travers la littérature, peut jouer dans la perception publique des cancers pédiatriques et dans le soutien aux familles touchées par la maladie ?

Je pense que la littérature joue un rôle absolument essentiel. Au cours de ma carrière hospitalière, j’ai pu constater que le cancer chez l’enfant reste un sujet difficile à aborder, souvent enveloppé de peur et de méconnaissance. Dans mon roman, j’ai voulu briser ces tabous en proposant une histoire qui aide le grand public à mieux comprendre les défis que pose la maladie, tant pour l’enfant que pour sa famille. J’avais vraiment à cœur de montrer combien ce milieu qui effraie tant peut être beau et lumineux malgré tout. De plus, pour les familles touchées, je pense que lire des récits similaires à leur vécu peut être une source de réconfort (en mettant en valeur des parcours qui résonnent avec le leur) et de créativité (en offrant des stratégies possibles de résilience ou en dévoilant des ressources disponibles). Je pense aussi que des récits qui touchent à l’intime et qui réussissent à mobiliser des émotions avec justesse et nuance permettent d’éveiller des consciences et de passer à l’action. Par exemple, ils peuvent encourager le financement de la recherche, la création de politiques de soutien ou l'implication dans des associations caritatives. Plus que tout, je vois la littérature comme un outil puissant pour susciter l’empathie et agir comme un pont entre êtres humains. Elle permet de toucher l’autre du doigt, de se mettre à sa place le temps d’un récit, pour mieux le comprendre, mieux l’appréhender dans sa souffrance et ainsi, mieux l’aider et le soutenir le cas échéant. C’est du moins ce que j’avais en tête en écrivant Et nos routes toujours se croisent.

Vous citez Éluard en guise d'inspiration pour votre titre. Comment la poésie et d'autres formes d'art ont-elles influencé votre processus créatif et votre manière d'aborder des sujets aussi complexes ?

Mon processus créatif est constamment influencé par mon environnement. Tout peut être sujet à inspiration ! Cela peut être un film que je regarde, un tableau que j’observe, un détail sur un passant dans la rue ou encore un poème découvert par hasard, comme ça a été le cas pour ce poème de Paul Eluard intitulé « La mort, l’amour, la vie ». Le titre m’a tout de suite intriguée car c’est dans ces trois mots que se cache l’essence même de mon roman. À la lecture du poème, le vers qui a inspiré le titre de mon roman s’est imposé comme une évidence : « des chemins qui se croisent, des destins qui s’entrechoquent, se tutoient, s’apprivoisent » (Eluard)… J’ai tout de suite su que je tenais mon titre et j’ai réussi à convaincre mon éditrice de le garder.
Je trouve que l’art, sous toutes ses formes, peut humaniser ces sujets complexes en leur donnant une voix, une forme ou une émotion qui résonnent avec l’expérience humaine universelle. Qu’il s’agisse d’art littéraire, visuel ou musical, le but est de créer une connexion, de permettre aux personnes de ressentir et de comprendre au-delà des mots. C’est d’ailleurs ce que font de manière merveilleuse les clowns hospitaliers du Rire Médecin avec qui j’ai eu l’immense privilège de travailler et qui, par leur art de la scène, apportent joie et réconfort aux enfants et à leurs familles, sans jamais oublier d’apporter aussi des sourires et du soutien aux soignants. Cet aspect est évoqué dans plusieurs scènes de mon roman (mais il faudra le lire pour découvrir lesquelles !).

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